Victoria Le Boloc’h-Salama            
Victoria Le Boloc’h-Salama (née en 1993, basée à Paris) est critique d’art indépendante, réalisatrice et productrice de podcast. Elle accompagne des artistes et développe des projets artistiques.Diplômée d’un master II de recherche en histoire de l’art (Paris I), elle est membre fondateur du collectif « Jeunes critiques d’art ». En 2017, elle co-fonde « Le Bruit de l’art », l’un des premiers podcasts natifs relatif à l’art contemporain en France où elle mène une quarantaine d’interviews jusqu’en 2021. Aujourd’hui, elle réalise des entretiens d’artistes et rédige des critiques et des textes d’expositions.
        En parallèle, elle écrit et réalise des podcasts pour des institutions à l’occasion d’expositions (Centre Pompidou, Fondation Cartier…) et participe mensuellement depuis 2021 au podcast culturel « L’esprit critique ».
        Depuis 2022, elle est rédactrice en chef et directrice de production du podcast « Chefs-d’œuvre en réserves » (LACME production x Beaux Arts Magazine).
        En 2024, Victoria Le Boloc’h-Salama présente le travail de l’artiste Carla Adra au 12e prix AICA France.
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Julian Simon, Softspots
Texte accompagnant la seconde exposition personnelle de l’artiste, du 15 janvier au 26 février 2022 à la galerie Chloé Salagado



Texte

Vue de l'exposition Softspots, photo : Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO

Julian Simon, Softspots




À l’heure de la crise sanitaire et des confinements, comment continuer à peindre d’après des photographies de « temps faibles »,[1] de lâcher prises et de moments de rien où la moiteur des clubs, les volutes de fumées et vapeurs d’alcool sont tous autant de personnages à représenter ?
Arraché aux soirées berlinoises dont il se faisait le portraitiste lors de sa première exposition personnelle Overexposure, Julian Simon présente ici Softspots, une série de peintures nées par accident, de l’expérience du confinement.

Coupé de sa matière vive et sans possibilité de pouvoir se rendre à son studio, Julian Simon a dessiné frénétiquement ; tracer, colorier, gommer et recommencer pour combler le vertige de s’arrêter de créer. Puis, comme une manie ou une petite musique intérieure qui apparaît pour passer le temps et tarir sa solitude, il s’est mis à former machinalement des amas de pelures de gomme. Et c’est précisément ces « sculptures molles » qui vont bousculer sa pratique habituelle, et qui sont autant de tentatives de redéfinition de son langage artistique.

Véritable gant renversé, Softspots est une série de peintures intimes, constituées de strates de souvenirs, de rêves ou de phrases mentales matérialisés par des formes en pâte à modeler. Fleur, chat ou pendule d’une mollesse organique s’incrustent dans des scènes de vie anodines photographiées puis dépeintes minutieusement. Cinéma intérieur fait d’images mentales dans le décor d’une époque figurée, Softspots agit comme un réseau de communication entre deux réalités habituellement parallèles. Mais ici géographie et temporalité se délitent et se dissolvent dans la peinture : la mollesse des formes répond à celle du temps qui s’étire. Dans la droite lignée des surréalistes, Julian Simon tente à sa manière d’atteindre le « point sublime », qui selon les mots d’André Breton est « le point d’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable [...] cessent d’être perçus contradictoirement ».[2]
Enfantines par leurs formes grossières et leurs couleurs pop, ces figures tranchent toujours avec la linéarité des scènes réalistes dépeintes en fond ; à la manière de réminiscences qui s’enjolivent à mesure que le temps s’étiole. Scène de genre, nature morte, paysage et portraits, voire autoportraits, sont autant de genres picturaux académiques que Julian Simon détourne ici.

La percée des « sculptures molles » sans grand souci de cohérence avec le contexte, désoriente et teinte chaque composition de mystère, de bizarrerie et d’humour. En rendant ces souvenirs invisibles aussi malléables que la pâte à modeler qui les composent, Julian Simon met en marche un jeu de perception sensorielle qui s’amuse aussi des interprétations du regardeur comme pour l’œuvre The blues I use. Avec cette toile construite comme la transposition littérale d’un jeu de mot, Julian Simon se joue de lui-même et des projections psychologisantes qui peuvent en être faites. Incertitude quant au futur, mélancolie du passé et remise en question de sa pratique artistique, Julian Simon livre ses « points faibles » avec malice et légèreté.

Fin de party pour « la peinture photogénique »[3] des hot spots berlinois. Bonjour tristesse, introspection et autodérision. Faites place aux Softspots. Ça va bien se passer. 




[1] Raymond Depardon, « Raymond Depardon. Pour une photographie des temps faibles », propos recueillis par André Rouillé, Emmanuel Hermange et Vincent Lavoie, La Recherche photographique, « Les choses », n° 15, automne 1993, p. 80.

[2] André Breton, « Second manifeste du surréalisme » in. La Révolution Surréaliste n°12, 15 décembre 1929.

[3] Michel Foucault, « La peinture photogénique » in. Fromanger, Le désir est partout, édition Michel Foucault (cat. exp. Paris, Galerie Jeanne Bucher, 27 février - 29 mars 1975), Paris, Galerie Jeanne Bucher, 1975.